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Guerre en Ukraine: comment les Russes ont séduit les complotistes antivax

Illustration de principaux relais complotistes et pro-russes en France

Illustration de principaux relais complotistes et pro-russes en France - BFMTV

En Occident, la propagande russe trouve de solides relais parmi les militants complotistes antivax. Des liens qui remontent à la crise des gilets jaunes.

Sur les réseaux sociaux, mais aussi sur les messageries comme Telegram, le complotisme a pris un nouvel élan. Alors que la pandémie de Covid-19, bien que loin d’être terminée, est passée au second plan en raison de la guerre en Ukraine, la complosphère francophone et occidentale semble avoir trouvé un nouveau cheval de bataille: soutenir la Russie.

Cette complosphère, qui se mêle aux milieux antivax et milite aux côtés de certaines personnalités politiques anti-pass sanitaire, a été épaulée par les médias d’État russes comme RT France ou Sputnik, récemment bannis de l’Union européenne.

Au fil du temps et des crises rencontrées dans l’Hexagone, tous deux ont réussi à séduire les opposants au gouvernement, afin de devenir l’une de leurs principales sources d’information.

Gilets jaunes et Covid: opération séduction

Dès la fin 2018, alors que les manifestations des gilets jaunes éclatent dans le pays, RT France et Sputnik, les deux médias publics russes, se font l’écho de leurs revendications. Surtout, ils couvrent le mouvement de façon exhaustive sur les réseaux sociaux.

Le 24 novembre 2018, les deux médias d’État russes filment l’arrivée des gilets jaunes sur les Champs-Élysées, une semaine avant le saccage de l’Arc de Triomphe. Sur Facebook, tous deux diffusent simultanément de longues séquences vidéo de quatre heures, qui cumulent chacune 1,6 million de vues.

Il s’agit à ce jour des contenus les plus populaires sur la plateforme entre 2018 et 2020 parmi ceux publiés par RT France et Sputnik. Les deux médias deviendront des relais réguliers du mouvement des Gilets jaunes, dont un noyau dur s’opposera ensuite au gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire.

Début 2020, les deux médias se positionnent ainsi sur le thème du Covid-19 puis de la vaccination. Entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2022, l’essentiel des publications les plus populaires de RT France et Sputnik sur Facebook concernent la pandémie ou les gilets jaunes.

Publication Facebook de Sputnik couvrant une manifestation anti-masque, le 29 août 2020
Publication Facebook de Sputnik couvrant une manifestation anti-masque, le 29 août 2020 © BFMTV

Parmi les cinq publications les plus puissantes de la période en termes d’interactions (mentions "J’aime", commentaires et partages), on retrouve en deuxième position une vidéo montrant une manifestante anti-masque, en août 2020, comparant la politique sanitaire du gouvernement au régime nazi. Elle a été vue plus de 2,5 millions de fois.

Suivent une vidéo de Didier Raoult, puis le témoignage d'une ancienne malade du Covid-19 assurant avoir été guérie grâce à la chloroquine (2,8 millions de vues).

RT France s’est également imposé sur Twitter pour parler aux opposants au gouvernement, mais aussi à ceux qui mettent en doute les autorités, y compris médicales. BFMTV a analysé les 25 tweets les plus populaires de RT France entre le début du mouvement des gilets jaunes (octobre 2018) et l’annonce de son interdiction dans l’UE (fin février 2022).

Les tweets les plus populaires du compte RT France
Les tweets les plus populaires du compte RT France © BFMTV

Parmi eux, neuf concernent le mouvement des gilets jaunes - montrant notamment une pancarte des manifestants incitant à regarder RT France - et 12 concernent la pandémie de Covid-19.

Avec des thèmes récurrents comme la dénonciation d’une "dictature" dans le cadre de la répression des gilets jaunes, mais aussi les effets secondaires des vaccins. On retrouve par ailleurs des attaques contre Jacques Attali, régulièrement visé par les complotistes.

Un noyau dur de relais francophones

En plus du succès de leurs publications, les médias d’État russes ont trouvé un véritable écho au sein des antivax grâce à quelques personnalités bien connues du mouvement. Sur Telegram, la star française du complotisme Silvano Trotta (150.000 abonnés) a ainsi relayé plus d’une centaine d’articles émanant de RT France entre mars 2021 et mars 2022.

Comme le rappelle Antoine Bayet, auteur de Voyage au pays de la Dark Information, auprès de l’Express, une bascule dans leur soutien à la Russie s’est faite au moment de l’annonce de l’interdiction de RT France et Sputnik dans l’UE et donc en France.

"Ces personnes s'inscrivent en ‘contre’, jusqu'à verser dans le discours victimaire: 'Nous sommes censurés, nous sommes oppressés'. Dans leur esprit, ce qui est interdit devient véridique, car si le pouvoir l'a supprimé, c'est qu'il doit vouloir cacher quelque chose", précise ainsi le journaliste et directeur éditorial de l'INA.

D’autres personnalités, qui ne se présentent pas comme antivax mais qui ont orienté leur discours pour les séduire, ont également noué des contacts réguliers avec RT France. Florian Philippot, ancien cadre du RN et désormais soutien de Nicolas Dupont-Aignan, a vu sa popularité exploser sur les réseaux sociaux grâce à l’organisation de manifestations mêlant anti-pass sanitaire et antivax.

Depuis janvier 2018, Florian Philippot a réalisé au moins 66 passages sur la chaîne RT France, selon le décompte de BFMTV, dont une trentaine depuis le début de la crise du Covid-19.

Positions pro-russes et liens avec le Covid

La convergence entre ces différents mouvements pourrait être symbolisée par la chaîne YouTube Buzz l’Info, "petite sœur" du média d’État russe Sputnik, comme la décrivait Mediapart ce 14 mars. Créée en juin 2021, elle se fait plus discrète, avec seulement 20.000 abonnés, pour un total d’un million de vues.

Capture d'écran de la page YouTube de la chaîne Buzz l'Info
Capture d'écran de la page YouTube de la chaîne Buzz l'Info © BFMTV

Plus de la moitié du total des vues de cette chaîne financée par la Russie ont été réalisées grâce à des vidéos ayant pour intervenants les militants anti-vaccins Louis Fouché et Fabrice Di Vizio, ainsi que Florian Philippot.

Avec d’autres figures du complotisme telles que Chloé Frammery, Jean-Jacques Crèvecoeur mais aussi les sites France-Soir ou Le Courrier des Stratèges, ils reprennent désormais bon nombre de positions du Kremlin, au sujet de l’Union européenne, de l’Otan, mais aussi d’événements qui ont ému la communauté internationale.

Capture d'écran du compte Twitter de France-Soir
Capture d'écran du compte Twitter de France-Soir © BFMTV

Au même titre que la propagande russe a tenté de le faire, certains intervenants mettent en doute l’authenticité du bombardement de la maternité de Marioupol par les Russes. C’est notamment le cas d’Igor Lopatonok, qui a partagé un message allant dans ce sens sur Twitter. Il s’est récemment illustré sur France-Soir pour analyser "la fabrique de l’information en temps de guerre".

Malgré la place que prend la guerre en Ukraine dans l’actualité, les stars complotistes qui ont prospéré pendant la crise du Covid-19 peuvent aussi retomber sur leurs pattes, là encore en se basant sur une partie de la propagande russe. Cette dernière a récemment mis en avant le cas de laboratoires biologiques ukrainiens fonctionnant grâce à un partenariat avec les États-Unis - pour éviter la fuite d’agents pathogènes dans la nature, suggérant - sans élément tangible - une volonté de créer des armes biologiques pour attaquer les Russes.

Capture d'écran de la chaîne Telegram de Silvano Trotta (publication du 9 mars 2022)
Capture d'écran de la chaîne Telegram de Silvano Trotta (publication du 9 mars 2022) © BFMTV

Des informations dont se délecte Silvano Trotta. Dans une publication vue 67.000 fois sur sa chaîne Telegram, celui qui, comme les autorités russes, décrit le président ukrainienne comme un "drogué nazi", tente de faire un lien avec une éventuelle émergence du Covid-19 au sein de ces laboratoires ukrainiens. Le tout en se basant sur des informations publiées par le média public russe Sputnik.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Chef de service BFM tech