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Sophie la Girafe a 60 ans: les coulisses d'un succès "made in France"

Il faut 14 opérations manuelles pour fabriquer une Sophie la Girafe, à l'usine de Rumilly, en Haute-Savoie.

Il faut 14 opérations manuelles pour fabriquer une Sophie la Girafe, à l'usine de Rumilly, en Haute-Savoie. - Vulli

Le célèbre jouet en caoutchouc, fabriqué en Haute-Savoie, fête ses 60 ans. Il s'est écoulé à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires dans le monde depuis sa naissance en 1961.

Sophie la Girafe soufflera ses soixante bougies en mai prochain. Si l'on ouvre le coffre à jouets d'un bébé français, il est presque impossible de ne pas y trouver l'iconique girafe blanche en caoutchouc, qui s'est écoulée à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires depuis sa naissance en mai 1961, à Paris. L'entreprise Delacoste, "maman" de Sophie, a été reprise en 1982 par la société savoyarde Vulli, qui ramène quelques années plus tard la production dans son usine de Rumilly, près d'Annecy, et transforme "Sophie la Girafe" en star mondiale du jouet français.

Vulli a l'habitude de dire qu'il s'en vend autant en France qu'il y a de naissances. Soit, pour l'année passée, près de 750.000 jouets pour l'Hexagone – et presque autant de girafes sont vendues à l'étranger, où ce jouet français cartonne depuis une dizaine d'années. Surfant sur son succès, Sophie la Girafe est devenue une franchise lucrative : outre les jouets, on retrouve sa silhouette sur des dizaines d'objets de puériculture, allant des poussettes aux vêtements en passant par les peluches, les sièges auto, les assiettes, les lunettes de soleil, les tapis d'éveil ou les thermomètres de bain.

Sur son site de Rumilly, l'entreprise fabrique la girafe "classique" et quelques hochets, tandis que la production d'autres jouets est sous-traitée en Asie. "Ce qu'on produit en propre, c'est tout ce qui se mâchouille et se mordille", résume Eric Rossi, directeur général de Vulli. Le reste de la gamme sous la marque Sophie la Girafe est déléguée à plusieurs dizaines de fabricants spécialisés, grâce à des accords de licence, qui peuvent commercialiser leurs produits en utilisant son image – une entreprise distincte de Vulli, du même nom que le jouet, détient les droits de la marque.

Des produits "Sophie la Girafe" en vente sur le site web du distributeur spécialisé Aubert.
Des produits "Sophie la Girafe" en vente sur le site web du distributeur spécialisé Aubert. © Aubert

Intemporelle et 'made in France'

L'idée est que Sophie suive l'enfant à l'heure du bain, du jeu, du sommeil: selon Eric Rossi, pour une girafe en caoutchouc classique vendue en France, trois autres produits siglés de la marque sont achetés. "Sophie la Girafe reste le produit phare. Tous les autres produits s'appuient sur son image. Cela nourrit sa notoriété, c'est un cercle vertueux", précise le dirigeant, qui a pris en 2018 la succession de Serge Jacquemier, artisan du succès international de Vulli lors de ses vingt ans à la direction de l'entreprise, propriété de l'industriel lorrain Alain Thirion depuis 1989.

Le latex liquide est coulé dans des moules (usine de Rumilly).
Le latex liquide est coulé dans des moules (usine de Rumilly). © Vulli
La machine "à fabriquer des Sophie" à l'usine de Rumilly. Il s'agit, en fait, de l'étape de "rotomoulage" qui doit répartir le latex dans les moules.
La machine "à fabriquer des Sophie" à l'usine de Rumilly. Il s'agit, en fait, de l'étape de "rotomoulage" qui doit répartir le latex dans les moules. © Vulli

Vulli dépasse les 30 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'heure actuelle, contre moins de 4 millions dans les années 2000. Et a traversé presque sans encombre la crise sanitaire : son chiffre d'affaires a grimpé de 5% en 2020, après avoir déjà connu une année record en 2019 avec une hausse de 10%. L'entreprise n'a été contrainte de fermer que trois semaines et demie au printemps, et la production est depuis repartie à la normale. D'autant plus que ses exportations vers les voisins européens, les Etats-Unis, le Japon ou l'Australie permettent à Vulli de ne pas dépendre d'un seul marché.

Il faut dire que son produit phare est pile dans les clous des tendances du moment. Les magasins de jouets et de puériculture, où Sophie est vendue une quinzaine d'euros, ont placé les produits 'made in France' en têtes de gondole pour répondre aux attentes des consommateurs, avides de localisme. "On a été, en quelque sorte, surexposés par nos revendeurs. Nous, de notre côté, nous n'avons pas communiqué plus que d'habitude sur la fabrication en France", assure Eric Rossi.

"Un best-seller dans nos magasins"

"C'est toujours un best-seller dans nos magasins", confirme Anne Fauveau, directrice produits chez Oxybul, dont les magasins sont positionnés sur le créneau des jouets ludo-éducatifs. "Il y a une forte demande de nos clients depuis un an pour les produits durables et intemporels, ou fabriqués avec des produits naturels. On n'a pas observé de croissance des ventes à proprement parler, mais c'est un vrai argument de vente", poursuit-elle, estimant "qu'au vu de tous ses atouts", Sophie a peu de vrais concurrents dans les rayons.

Les girafes sont démoulées puis mises à sécher pendant trois mois (usine de Rumilly).
Les girafes sont démoulées puis mises à sécher pendant trois mois (usine de Rumilly). © Vulli
Après le séchage, il faut polir les contours du jouet (usine de Rumilly).
Après le séchage, il faut polir les contours du jouet (usine de Rumilly). © Vulli

Tout n'est pas rose pour Sophie la Girafe. La natalité est en baisse d'année en année en France. Avec "autant de girafes vendues que de naissances", il y a donc, mécaniquement, une baisse des ventes: Vulli écoulait encore 800.000 girafes en caoutchouc quelques années en arrière. Or, avec plus de 85 distributeurs dans le monde, les leviers de croissance sont limités. L'entreprise mise désormais sur son autre produit phare, l'Arbre magique, qui doit partir à la conquête du monde. En attendant, une deuxième usine dans les Vosges devrait bientôt produire des "Sophie la Girafe" destinées à l'exportation, à l'horizon 2022.

Fabriquée à base de caoutchouc naturel, issu de plantations d'hévéas malaisiennes, Sophie la Girafe est encore un peu artisanale: il faut une quinzaine d'opérations manuelles, et une trentaine de personnes, pour la réaliser. Après avoir été chauffé, le latex liquide est coulé dans des moules en plâtre, conçus pour absorber l'eau du latex : ces derniers vont ensuite tourner sur deux axes, lors de l'étape du "rotomoulage", pour assurer la répartition uniforme du latex. Une fois démoulées, les futures Sophie sont mises à sécher pendant trois mois avant d'être polies. Il ne reste ensuite qu'à ajouter le sifflet, puis à peindre à la main les tâches, les yeux, les joues, les oreilles et les pattes.

Jérémy Bruno