Carburants: malgré les difficultés dans les raffineries, les répercussions à la pompe sont encore limitées
"Allez faire des pleins car il n'y en aura bientôt plus beaucoup". Le secrétaire de l'Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône Olivier Mateu a mis le feu aux poudres la semaine dernière en appelant à plusieurs reprises les automobilistes à se rendre dans les stations-essence pour se fournir en carburant. Selon le représentant syndical, les ruptures pourraient en effet se multiplier dans les prochains jours en raison du mouvement social contre la réforme des retraites qui gagne l'ensemble des activités des raffineries.
Un effet week-end
Samedi, le site dédié du gouvernement évoquait des situations de rupture sur au moins carburant dans 4% des quelque 11.000 stations-service du territoire. Lundi à 10h30, ce pourcentage avait doublé pour atteindre 8%.
"Je pense qu'on est encore à peu près dans les mêmes valeurs", nous indique Francis Pousse qui évoquait plutôt le chiffre de 6% ce week-end.
Cependant, le président du syndicat professionnel Mobilians -qui représente la moitié des stations essence françaises- insiste sur l'existence de disparités départementales.
"Dans les trois départements des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et du Gard, on est probablement bien au-dessus avec une situation aggravée le week-end car il n'y a pas de livraisons le dimanche", explique-t-il.
Effectivement, ce sont désormais la 50% des stations services des Bouches-du-Rhône, près de 41% de celles du Gard et un tiers de celles du Vaucluses qui sont touchées par des ruptures.
Dans le Var et les Alpes-de-Haute-Provence, ces ruptures affectent entre un quart et un cinquième des sites. Les Pays de la Loire sont aussi une région particulièrement exposée au risque de pénurie avec des taux de rupture déjà supérieurs à 10%. Olivier Gantois s'attend à une orientation à la baisse du taux de rupture dans les prochains jours. "On sort d'un week-end et à chaque sortie de week-end, on a 2 à 3% de stations-essence en rupture car elles ont eu plus de clients que prévu par exemple, évoque le directeur de l'Union française des industries pétrolières (UFIP EM). Les livraisons par camion citerne se sont déroulées quasi-normalement aujourd'hui sachant qu'on livre toujours plus le lundi."
Les raffineries de Lavéra et de Port-Jérôme-Gravenchon à l'arrêt dès aujourd'hui?
En amont des stations-service, la situation pourrait se tendre dans les raffineries. Sur les six raffineries conventionnelles en France, celle de TotalEnergies à Donges (Loire-Atlantique) est déjà à l'arrêt pour un problème technique extérieur au mouvement social tandis que deux autres sont à débit réduit, à savoir celle de TotalEnergies à Feyzin (Rhône) près de Lyon et celle d'Esso-ExxonMobil à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).
"Les expéditions sont de carburants depuis la raffinerie de Fos sont toujours impactées et la production également ajustée", précise le groupe pétrolier ce lundi matin. Vendredi soir, la plus grande raffinerie de France, le site TotalEnergies de Gonfreville-L'Orcher en Normandie a également vu ses unités de production progressivement s'arrêter.
Le coordinateur syndical CGT chez TotalEnergies Eric Sellini précise que les deux dernières raffineries conventionnelles devraient suivre le mouvement en ce début de semaine. La CGT prévoyait une mise à l'arrêt de la raffinerie PétroIneos de Lavéra dans les Bouches-du-Rhône pour ce lundi après-midi "au plus tard". L'arrêt de la raffinerie d'Esso-ExxonMobil à Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime) pourrait aussi survenir avant demain mardi en raison d'une grève au dépôt pétrolier du Havre qui limite les arrivées de pétrole brut à raffiner.
"Samedi 18 mars à 14h, alors que la raffinerie expédiait normalement des produits, un petit groupe (entre 6 et 15 selon les quarts ce week-end et ce matin), encadré par la CGT a décidé de relancer un mouvement de grève dans le cadre des actions nationales contre la réforme des retraites avec comme impact, l'interruption des expéditions de carburants, précise la direction d'Esso-ExxonMobil. La production de la raffinerie est réduite et ajustée selon les arrivées de pétrole brut depuis le terminal du Havre."
"L'arrêt complet n'est pas encore programmé, la raffinerie tourne toujours au ralenti car nous ne sommes plus livrés en pétrole brut", soulignait samedi le secrétaire général CGT d'ExxonMobil Germinal Lancelin.
Du côté des 200 dépôts de carburant, seuls 5 à 8 étaient bloqués ce lundi matin d'après les données de l'UFIP EM. Un nombre très évolutif car certains sites ont été rapidement débloqués.
Au moins quatre mois de stocks
En réalité, ces difficultés qui s'accumulent sur plusieurs sites de raffinage ne risquent pas de changer drastiquement la situation à court et moyen terme selon Francis Pousse. "Depuis un dizaine de jours, on ne bénéficie déjà plus de la partie expédition de carburants dans les raffineries donc même si la partie production ne fonctionne plus, ça ne change pas grand-chose dans l'immédiat."
Le président du syndicat professionnel Mobilians rappelle également que les différents stocks de carburants ont été remplis en prévision de ce mouvement social contre la réforme des retraites qui était anticipé, contrairement à celui portant sur les salaires l'automne dernier.
"Pour l'instant, les niveaux de stocks commerciaux en dépôts sont bons et on a également les stocks nationales stratégiques derrière, précise Francis Pousse. En cumulant les deux, on peut couvrir jusqu'à quatre mois de consommation."
Le représentant syndical ajoute aussi que la France ne raffine que 50% du carburant qu'elle consomme, l'autre moitié étant importée. Ces importations constituent donc à terme un levier de substitution aux difficultés nationales.
Pour autant, l'exécutif a réaffirmé sa détermination à intervenir en cas de dégradation trop significative. Le ministre de l'Industrie Roland Lescure avait déjà déclaré samedi que le gouvernement prendrait ses "responsabilités" comme "à l'automne" quand il avait procédé à des réquisitions pour débloquer des sites pétroliers lors de grèves pour les salaires.
Ce matin, Clément Beaune a abondé en ce sens tout en précisant qu'"à l'heure où nous parlons, on n'en est pas aux réquisitions". "C'est une décision de dernier recours, mais comme nous l'avons fait précédemment, comme nous l'avons fait au mois d'octobre, si cela était nécessaire, nous n'hésiterions pas à le faire pour éviter un blocage économique et de la circulation dans notre pays", a prévenu le ministre des Transports sur Franceinfo, évoquant des "mesures ponctuelles, raffinerie par raffinerie".