Après le paiement fractionné, bientôt les salaires fractionnés?

27% des personnes interrogées seraient favorables à un versement hebdomadaire de leur salaire. - Philippe Huguen - AFP
Deux récentes études, en France et aux Etats-Unis, soulignent une semblable attente des deux côtés de l’Atlantique: une plus grande fréquence de versement des salaires.
Dans les deux cas, les études captent une forte anxiété au sein du public. En France, les réponses à l’enquête menée par OpinionWay pour la fintech Rosaly (spécialisée dans les acomptes salariaux) font état de craintes élevées concernant une baisse de revenus (59% des répondants), des dépenses imprévues (67%) ou l’impossibilité de dégager un budget pour partir en vacances (48%).
Parmi les solutions possibles, pour réduire ces incertitudes, il est particulièrement proposé – c’est tout nouveau dans ce genre d’enquête – de recevoir son salaire tous les quinze jours, chaque semaine ou même en temps réel, tous les jours. Or les taux de réponses sont significatifs: la perspective d’un salaire hebdomadaire recueille 27% d’avis favorables et celle d’un versement de revenu deux fois par mois 39%, avec des pointes à 55% chez les 25-34 ans et 61% chez les 18-24 ans.
Aux Etats-Unis, le baromètre mis en place depuis début 2020 par la banque Capital One décrit également une situation inquiétante: en février 2022, 27% des Américains ont eu du mal à payer au moins une facture et 58% ont dû, pour cela, emprunter ou puiser dans leurs économies.
Une demande nouvelle dans un contexte tendu
Or, aux Etats-Unis, un élément préoccupe particulièrement les consommateurs: l’inflation, à 7,9% en février sur un an, soit son plus haut niveau depuis 40 ans. Et, dans ce contexte, les Américains veulent pouvoir recevoir leur salaire plus rapidement, à la demande. C’est qu’ils anticipent une remontée des taux, pour contrer l’inflation, qui va rendre les emprunts plus chers.
Plus de souplesse dans le versement des revenus est donc demandée, aux Etats-Unis face à l’inflation, ainsi qu’en France, où la situation pourrait devenir comparable et où une telle demande est tout à fait nouvelle. Au point que l’on peut se demander si les répondants à l’enquête y auraient d’eux-mêmes songé, si on ne leur avait pas posé la question. En revanche, il semble clair que beaucoup, surtout chez les moins de 35 ans et parmi les revenus modestes, seraient séduits si on leur en offrait la possibilité.
Mais il y a un problème! Le Code du travail impose, sauf exceptions, que le salaire ne soit versé qu’une fois par mois. Toutefois, les salariés ont le droit de demander à leur employeur un "acompte correspondant, pour une quinzaine, à la moitié de leur rémunération mensuelle".
Oui mais, de cela, les salariés ne veulent pas! Dans l’enquête OpinionWay/Rosaly, ils sont 67% à déclarer ne pas être intéressés à demander un acompte à leur employeur. Et, parmi eux, ils sont 34% à indiquer que c’est parce qu’ils ont peur de parler de leurs difficultés financières à leur employeur! (14% de même ont peur que leurs collègues en entendent parler).
Un nouveau service pour les banques?
Et s’ils s’adressaient à leur banque? Nous sommes ici dans un cas typique de la banque des usages où une intermédiation s’impose, tant pour permettre aux entreprises d’honorer des acomptes sur salaires plus fréquents tout en ménageant leur trésorerie, que pour simplifier et automatiser les demandes d’acomptes et donner ainsi la possibilité aux employés de gérer de manière transparente leurs revenus selon leurs besoins.
Les banques sauront-elles rapidement se saisir du sujet? D’ores et déjà, d’autres acteurs s’en emparent. En France, c’est le cas de la fintech Rosaly. Comme aux Etats-Unis, avec plusieurs fintechs et néo-banques. Visa vient de s’associer à CloudPay pour offrir des options de paiement numérique plus rapides. Et nous avons précédemment signalé l’acquisition par Walmart d’Even, spécialisée dans le lissage des revenus, y compris pour les travailleurs indépendants.
Il n’est pas si fréquent que la banque digitale ne permette pas seulement de numériser des traitements existants mais offre la possibilité de transformer massivement des usages. Or c’est parfois d’une confondante simplicité : dans un pays où la plupart des salariés sont payés chaque semaine ou chaque quinzaine, la CommBank australienne offre tout simplement la possibilité à ses clients de choisir eux-mêmes la date de remboursement mensuel de leur crédit immobilier. Simple! Mais peu de banques y ont pensé. Et combien d’entre elles pourraient rapidement adapter leurs systèmes de traitement pour le faire?