Pourquoi les grandes entreprises payent moins d'impôts que les PME

Le quartier d'affaires de La Défense. - Ludovic Marin
Avec le mouvement des gilets jaunes, la question de la justice fiscale est passée en première ligne dans le débat public. La justice entre les particuliers, mais aussi entre les entreprises. Les multinationales sont accusées de profiter des failles du système et, in fine, payer moins d'impôts que la PME ou le commerçant du coin.
Entre le taux de 33,33% d'impôt sur les sociétés (IS) et la contribution sur les bénéfices, la France, qui était dans la moyenne au début du siècle, affiche aujourd'hui le taux d'imposition le plus élevé de l'OCDE, dont la moyenne est en-dessous de 22%. Le gouvernement a engagé une diminution progressive du taux d'IS, qui atteindra 25% en 2022.
En revanche, les règles françaises en matière d'assiette fiscale sont plus favorables, autrement dit le montant sur lequel on applique la taxe est plus faible dans l'Hexagone qu'ailleurs. Se focaliser uniquement sur le taux pratiqué offre donc une vision biaisée. Pour y remédier, des économistes de l'Institut des politiques publiques (IPP) ont calculé un autre taux plus proche de la réalité dans une étude parue ce lundi. En rapportant le montant des impôts payés aux profits enregistrés par les entreprises, ils estiment que le taux d'imposition moyen sur les sociétés en France tourne autour de 20% entre 2005 et 2015.
Les PME payent proportionnellement plus d'impôts
Cette moyenne diffère fortement selon la taille de l'entreprise (microentreprise, PME, ETI ou grande entreprise). Les multinationales ont un taux de moyen de 17,8% en 2015, contre 23,7% pour le PME. Soit un écart de près de 6 points. Même si cette différence demeure importante, elle s'est nettement réduite en dix ans. En 2005, les grandes entreprises avaient un taux moyen de 10%, contre 27,7% pour les PME, soit un écart d'environ 18 points.
Les auteurs ont également évalué l'impact du Crédit impôt recherche (CIR) et du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui, même s'ils ne concernent pas l'imposition des bénéfices, jouent sur le montant total d'impôts payé par les entreprises. Ils estiment qu'en comptabilisant le CIR, le taux moyen d'imposition tombe à 18,9% en 2015 puis à 12,2% avec le CICE. Les PME bénéficient plus fortement du CICE et les grandes entreprises du CIR, observent-ils. En cumulé, les deux crédits d'impôts font tomber à 7,7% le taux d'imposition des grandes entreprises et à 13,9% celui des PME.
Charges financières
Pourquoi cet écart selon la taille de l'entreprise? D'après l'étude, les multinationales bénéficient davantage de la possibilité de déduire de leur bénéfice les charges financières -qui correspondent grosso modo aux intérêts de leurs emprunts. Si l'écart s'est réduit entre grandes entreprises et PME en l'espace de dix ans, c'est parce que la loi est devenue plus contraignante depuis 2013 et parce que les taux d'intérêt ont baissé, réduisant ainsi les charges financières imputables.
Néanmoins, cet écart serait en réalité plus grand. En effet, les auteurs concèdent un biais dans leur analyse: l'optimisation fiscale. "Il est envisageable", écrivent-ils, que des multinationales diminuent "artificiellement" leurs profits en réalisant des transactions avec leurs filiales installées dans des pays à la fiscalité plus avantageuse (méthode dite des prix de transfert, ndlr). Par ce stratagème, les grandes entreprises affichent un taux d'imposition français plus élevé qu'il ne devrait être. C'est en partie pour lutter contre cette pratique que la France mènera au G7, dont elle a la présidence cette année, des travaux sur une imposition minimale des entreprises à l'échelle mondiale.
En revanche, cela ne remet pas en cause, a priori, la tendance d'une convergence des taux d'imposition entre les grandes entreprises et les PME. Plus largement, les économistes de l'IPP observent que des entreprises d'une même taille et d'un même secteur d'activité peuvent avoir des taux d'imposition très différents. Le niveau d'imposition d'une entreprise dépend essentiellement de critères individuels, dont les ressorts n'ont pas été identifiés et méritent des études plus approfondies. Les auteurs émettent l'hypothèse que cette situation pourrait être "le reflet de la complexité des règles fiscales", autrement dit le taux d'imposition d'une entreprise dépendrait de sa capacité à savoir manier la fiscalité française.