Comment Bruxelles veut en finir avec la fraude à la TVA

Pierre Moscovici a dévoilé un arsenal anti-fraude - Thierry Charlier - AFP
C'est ce que d'aucun qualifie comme le "casse du siècle": la fraude à la TVA, qui a d'ailleurs elle-même engendré celle sur les quotas d'émission de carbone (1,6 milliard d'euros de recettes perdus pour l'État français).
Ce mercredi la Commission européenne a décidé de s'attaquer plus spécifiquement à un fléau spécifique: les fameux "carrousels de TVA", la forme la plus utilisée de cette fraude. Le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a présenté une grande réforme pour mettre fin à ces dispositifs.
Pour rappel un carrousel de TVA (voir exemple en encadré) joue sur les règles du marché européen pour créer une déduction artificielle de TVA que l'État ne récupérera jamais. Pour faire simple, une entreprise A hors de France va vendre à une entreprise B française (appelée "société défaillante") du matériel, mais sans inclure la TVA car les ventes intracommunautaires en sont exonérées. B va ensuite appliquer la TVA à la vente de ce deuxième matériel à une société C. Théoriquement, B est censée ensuite reverser la TVA collectée à l'État français dans les trois mois. Chose qu'elle ne fera jamais. Car elle va se mettre en faillite. Et c'est là que se situe la fraude.
100 euros de pertes par citoyen européen
Selon Bruxelles, ces carrousels font perdre 50 milliards d'euros de recettes aux États membres de l'Union européenne, soit 100 euros par citoyen européen. Pour y remédier, Bruxelles propose une révolution radicale via un "paquet fiscal". Avec une mesure phare: les échanges entre deux sociétés de deux pays différents ne seront plus exonérés de TVA. La société exportatrice sera désormais chargée de collecter la TVA du pays de destination.
Ainsi, l'entreprise A dans notre exemple devra appliquer la TVA du pays de destination (la France ici) qu'elle versera au fisc de son pays. Ce dernier la reversera ensuite au fisc du pays de destination (donc la France dans notre exemple).
"Il faut mettre un terme à ce système anachronique fondé sur les frontières nationales! D'ici à 2022, les États membres devraient considérer les opérations de TVA transfrontières comme des opérations nationales dans notre marché intérieur" a ainsi déclaré Pierre Moscovici.
Pour éviter les lourdeurs administratives aux entreprises exportatrices, la Commission européenne propose que chaque fisc national ouvre un "guichet unique". Les entreprises exportatrices déclareront à ce guichet leurs exportations et verseront les TVA collectés.
Une réduction de 80% de la fraude
"Les opérateurs pourront déposer leurs déclarations et effectuer leurs paiements au moyen d'un portail unique en ligne dans leur propre langue et selon les mêmes règles et modèles administratifs que dans leur pays d'origine. Il appartiendra ensuite à chaque État membre de verser directement la TVA aux autres États membres, comme c'est déjà le cas pour toutes les ventes de services électroniques", explique la Commission européenne.
Selon Bruxelles, ce mécanisme permettrait de réduire de l'ordre de 80% la fraude au carrousel de TVA (et donc la ramener à 10 milliards d'euros). Rappelons qu'il s'agit pour le moment d'une proposition législative de la Commission européenne et que les États, via le Conseil européen, devront ensuite l'approuver. Ce qui n'est pas gagné car l'idée de Bruxelles revient de facto à laisser un autre pays européen s'assurer de la collecte de sa TVA.
Bruxelles semble être conscient de ces difficultés et ne visent pas une adoption complète de son système avant 2022. La Commission européenne introduit également dans cette proposition la notion d'"assujetti certifié", une catégorie d'entreprises fiables qui pourront "profiter de règles beaucoup plus simples et moins chronophages". En fait, ces entreprises auront surtout des règles allégées pour prouver qu'elles ont bel et bien livré une marchandise à une entreprise d'un autre État-membre. Elles pourront ainsi continuer de bénéficier de l'exonération de TVA pour leurs exportations dans l'espace européen.

Comment marche un carrousel de TVA?
Pour fonctionner un "carrousel" de TVA nécessite au moins trois entreprises. La première "le fournisseur" est basée en Europe mais hors de France. Elle facture une vente de 100.000 euros HT de matériel à une deuxième société établie elle en France et appelée "le taxi". Cette vente est exonérée de TVA car il s'agit d'une livraison intra-communautaire.
Le taxi va ensuite revendre ces biens à 100.000 euros TTC à la troisième entreprise, "l'entreprise productrice". Sur cette somme, elle déclare 83.333 euros de prix HT et 16.666 euros de TVA que va lui verser "l'entreprise productrice". Le taxi est alors censé reverser cette dernière somme au fisc français dans les trois mois. Chose qu'elle ne fera pas, se mettant ou faillite ou en disparaissant tout simplement dans la nature.
La troisième société va elle pouvoir réclamer la déduction de TVA qu'elle a versé au taxi. Elle se retrouve avec du matériel d'une valeur de 100.000 euros qu'elle n'a pourtant payé que 83.333 euros . Pour boucler la boucle, il lui suffit de revendre à ce prix HT à la première société "le fournisseur" en livraison intracommunautaire. Au final, l'opération est neutre pour tout le monde sauf le fisc qui y perd la valeur de la TVA soit 16.666 euros.
L'opération peut-être répétée de nombreuses fois dans les trois mois, ce qui augmente d'autant le manque à gagner pour l'État français. À noter que ce schéma est évidemment simplifié et que de nombreuses sociétés peuvent se rajouter pour rendre le montage plus difficile à tracer.