Affaire UBS: le secret bancaire suisse est-il définitivement tombé?

Le Tribunal fédéral suisse a affirmé la semaine dernière que l'administration fiscale française pourrait récupérer les noms des 40.000 clients français potentiellement fraudeurs car détenteurs de comptes dans la banque suisse. Une décision historique qui enterre un peu plus le légendaire secret bancaire de la Confédération helvétique.
UBS va devoir rendre des comptes au fisc français alors que la justice suisse vient de lui donner raison. La Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) réclame en effet depuis des années les noms de 40.000 personnes présumées contribuables en France et soupçonnées de fraude fiscale car détenteurs de comptes dans la banque suisse. Une demande d'assistance approuvée la semaine dernière par le Tribunal fédéral suisse, la plus haute instance judiciaire helvétique.
S’il n’est pas illégal d’ouvrir un compte en Suisse, il est obligatoire de le déclarer au fisc. Or, "une partie des détenteurs" de ces 40.000 comptes abritant pas moins de 10 milliards d’euros d'actifs manqueraient à leurs obligations fiscales, selon le Tribunal fédéral. De quoi penser que des centaines de millions, voire quelques milliards, d’euros de recettes fiscales potentielles pourraient échapper à l’État français.
Longue bataille judiciaire
Une demande d'assistance administrative avait été envoyée dès mai 2016 par la DGFiP, à son homologue suisse, l'Administration fédérale des contributions (AFC), sur la base de listes de comptes ouverts entre 2006 et 2008 obtenues lors de perquisitions dans des succursales de la banque UBS en Allemagne, en 2012 et 2013.
Le fisc français demandait des renseignements notamment sur les noms, date de naissance, dernière adresse connue ou encore sur le solde de ces comptes. En 2018, l'AFC avait accédé à la demande des autorités françaises. Mais UBS avait craint que ces données ne soient utilisées dans le cadre de la procédure pénale ouverte à son encontre en France pour "démarchage bancaire illégal" et "blanchiment aggravé de fraude fiscale".
D’où sa décision de saisir le Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall qui lui a donné raison. Avant que le Tribunal fédéral suisse n'invalide finalement cette décision. C’est la première fois que la justice suisse accepte une telle "demande collective". De justesse toutefois: trois juges se sont prononcés pour et deux contre.
Pas de "fishing expedition"
Point important, le Tribunal fédéral a considéré pour justifier sa position que la "demande collective" de la France ne relevait pas d'une fishing expedition ou "pêche aux renseignements". Cette pratique interdite consiste à réclamer des informations sur un grand nombre de détenteurs de comptes bancaires sans apporter d'éléments concrets et précis motivant cette requête. "On demande des informations de tous les clients sans avoir aucune information", résume Me Stéphane Draï, avocat international aux barreaux de New York, de Paris et à la Cour Suprême des États-Unis, soulignant qu'il faut normalement un "commencement de preuve" ou, en tous cas, des éléments probants.
Dans le cas présent, le Tribunal a estimé que la France avait fourni suffisamment d'éléments "permettant de conclure à un soupçon de comportement illicite". Pourtant, la décision apparaît discutable aux yeux de certains qui y voient une fishing expedition déguisée. Notamment parce que, contrairement à l'usage, la demande du fisc français ne concerne pas un cas précis mais une liste de 40.000 comptes dont il ne sait rien à l'exception des numéros qui leur sont attribués. Pour beaucoup, il y a là "un soupçon qui n'est pas aussi concret" que pour les demandes d'assistance traditionnelles, observe Me Fabien Liégeois, avocat fiscaliste à Genève et au barreau de New York. Un des juges fédéraux suisses aurait même qualifié la demande française de "plus grande fishing expedition du monde".
"La procédure n'est pas finie"
La décision du Tribunal fédéral n'en reste pas moins "historique par son ampleur", souligne Me Fabien Liégeois. Mais, comme il le souligne, le Tribunal fédéral a seulement "dit oui sur le principe": "Il a donné son accord mais l'arrêt n'a pas encore été publié".
D'autant que "la procédure n'est pas finie", affirme de son côté Me Stéphane Draï. Et pour cause, UBS "doit notifier chacun de ses clients avant de donner ces informations, et ceux-ci peuvent s'y opposer" en déposant des recours en justice. Ce sera ensuite du "cas par cas". Il se peut par exemple que certains contribuables aient hérité de ce compte ou qu'ils l'aient déjà fermé depuis leur découverte en Allemagne. Bref, chacun aura le droit de se défendre. Me Fabien Liégeois estime ainsi que la procédure peut durer "encore quelques mois, jusque début 2020".
UBS obtient le minimum
En revanche, pour répondre aux craintes d’UBS, la justice suisse a indiqué que les données qui seront transmises par l'administration fiscale suisse à Bercy n’ont pas vocation à être utilisées dans le cadre de la procédure pénale en cours contre la banque. Les autorités françaises ont fourni des garanties assurant que ces renseignements ne pourront pas être utilisés en dehors du contexte fiscal, ont fait valoir les juges.
Le fisc français a aussitôt salué la décision suisse: "La Direction générale des Finances Publiques se félicite de voir sa demande d'assistance fiscale validée par le Tribunal fédéral Suisse. Les garanties données par la DGFiP à l'administration suisse ont consisté à rappeler que l'utilisation des données reçues dans le cadre de cette affaire sera effectuée conformément aux dispositions de confidentialité prévues par la convention fiscale franco-suisse".
Ces assurances ne reposent cependant que sur des échanges de lettres entre les administrations fiscales des deux pays. Certains en Suisse les jugent ainsi "ambigües" voire "insuffisantes", selon Me Fabien Liégeois qui rappelle néanmoins que c'est le "principe de bonne foi et de confiance" qui doit prévaloir entre les États. Dit autrement, la Suisse n'a d'autre choix que de faire confiance à la France lorsqu'elle s'engage à ne pas utiliser les informations dans un but autre que celui du recouvrement de l'impôt.
La fin du secret bancaire suisse?
Faut-il en conclure que le légendaire secret bancaire suisse est définitivement mort? En théorie, il est censé être enterré depuis quelques années. Depuis 2009 en effet, Berne, sous la pression du G20 et de l’OCDE, a abandonné sa distinction entre la fraude et l’évasion fiscale. Avant cette date, la Suisse ne transmettait des informations aux pays étrangers qu’en cas de fraude relevant du pénal.
Quatre ans plus tard, la Confédération a franchi un pas de plus en signant une convention de l’OCDE sur la lutte contre l’évasion fiscale qui préparait le passage à l’échange automatique de données entré en vigueur en septembre dernier. Ce dispositif permet aux pays signataires de s'échanger automatiquement (et non sur demande, comme c’était le cas jusqu'alors) les informations des comptes bancaires détenus par des personnes – physiques ou morales – qui résident sur leur territoire.
Auparavant, "quand il s'agissait de faire une échange, il fallait que ce soit sur un cas précis pour ne pas tomber dans la fishing expedition. [...] Avec l'échange automatique, la Suisse est allée un cran plus loin. On peut dire que le passage à l'échange automatique d'informations a provoqué la mort du secret bancaire", analyse Me Fabien Liégeois, même s'"il peut encore y avoir des structures complexes qui empêchent l'identification d'un compte" et que les banques conservent un "devoir de discrétion". Même son de cloche du côté de Me Stéphane Draï pour qui "le principe du secret bancaire n'existe plus".
Mais dans le cas d'UBS, les informations liées aux 40.000 comptes de clients français n'entraient pas dans le cadre de l'échange automatique d'informations puisqu'ils ont été ouverts entre 2006 et 2008, une période "où la Suisse ne coopérait pas encore" avec les autres États, précise Me Fabien Liégeois. D'où la nécessité pour la DGFiP d'avoir réuni des éléments suffisamment convaincants pour faire approuver sa demande. Éléments qui par ailleurs n'ont pas fuité.
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