L'ambassadeur russe assassiné à Ankara était un homme-clé du rapprochement russo-turc

Arrivé à Ankara en 2013, Andreï Karlov, l'ambassadeur russe de 62 ans assassiné ce lundi dans cette ville, a tout connu des tensions entre la Russie et la Turquie. Il a œuvré au rapprochement de ces deux pays.
"Il se peut que l'objectif des terroristes était de se venger de la Russie pour ses actes en Syrie et faire échouer le rapprochement russo-turc", écrit ce mardi Kommersant au sujet de l’assassinat d’Andreï Karlov, l’ambassadeur russe en Turquie tué par un policier turc désireux de venger la population d’Alep. Cette ville syrienne est en passe d’être reprise par les troupes de Bachar al-Assad grâce aux soutiens de la Russie. Le journal russe Kommersant reprend ainsi la position de Vladimir Poutine qui, la veille, avait vu dans cet acte de terroriste une "provocation" visant à nuire à la "normalisation des relations entre la Turquie et la Russie". Il y a un an, c’est vrai, les échanges turco-russes étaient des plus compliquées.
Andreï Karlov, au centre du jeu
En novembre 2015, la chasse turque abattait un avion russe le long de la frontière syrienne. Le régime de Recep Tayyip Erdogan affirmait que le soukhoï avait violé l’espace aérien turc, ce que l’exécutif dirigé par Vladimir Poutine n’a pas cessé de nier avec force. A partir de ce moment-là et pendant sept longs mois, de déclarations offensives en réponses belliqueuses, les liens entre les deux pays n'ont cessé de se tendre voire de se distendre. Au centre de ce jeu dangereux, un homme: Andreï Karlov, le diplomate assassiné ce lundi.
L’homme est arrivé à Ankara à l’été 2013. A cette époque, les deux nations sont déjà en froid: en cause, des différences de vue sur le dossier syrien. La Russie soutenait déjà son allié la Syrie, où elle dispose de sa seule base navale en Méditerranée, et Recep Tayyip Erdogan ne cachait pas son aversion pour Bachar al-Assad, avec lequel il est brouillé depuis le début de la rébellion. Pourtant, la feuille de route d’Andreï Karlov n’était pas tellement politique: il était chargé avant tout de fortifier les relations commerciales des deux ombrageux partenaires. Mais le crash de l’avion russe, en gelant les échanges russo-turcs, a rebattu ses cartes.
Dans un premier temps, Andreï Karlov a campé sur la ligne fixée par son chef d’Etat. En février 2016, il déclarait, catégorique, que l’appareil de son compatriote envoyé au sol n’avait pas pénétré le ciel turc. Il expliquait aussi à l’agence TASS: "Les dirigeants turcs font des déclarations de plus en plus belliqueuses à l’encontre de la Russie. Dans ces circonstances, je ne vois pas comment on pourrait normaliser nos relations."
Un homme de confiance du pouvoir russe
Le parcours et le profil montrent assez clairement la confiance que le pouvoir russe accordait depuis des années à Andreï Karlov. Pur produit de l’école diplomatique soviétique, il est entré au ministère des Affaires étrangères de l’URSS en 1976 après avoir obtenu son diplôme à l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou. Des années 80 aux années 2000, on le trouve principalement en poste dans l’une ou l’autre Corée dont il parlait la langue. Entre 2001 et 2006, il a même exercé comme ambassadeur auprès de la République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord).
En 2007, l’exécutif de Vladimir Poutine a décidé de lui remettre son bâton de maréchal. Il est nommé directeur général adjoint puis directeur général du service consulaire du ministère des Affaires étrangères. L’attribution est d’importance: dans ces fonctions, Andreï Karlov avait la haute main sur 236 missions diplomatiques russes dans 146 pays différents, compte le Guardian. C’est donc un homme au grand crédit que la Russie décidait d’envoyer à Ankara en 2013.
L'artisan du rapprochement
Voix de son maître au moment des grandes tensions, Andreï Karlov s’est aussi révélé par la suite un grand artisan du rapprochement de la Turquie et de la Russie. Lundi, en prenant acte de sa mort, Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères russe, a d’ailleurs noté qu’Andreï Karlov "avait fait tout ce qu’il pouvait pour surmonter la crise dans les relations turco-russes". La situation s’était débloquée à partir du mois de juin dernier avec une lettre d’excuses pour la mort du pilote russe envoyée par Recep Tayyip Erdogan à son homologue Vladimir Poutine. Le dégel avait alors été spectaculaire avec le retour des touristes russes en Turquie le même été.
Mais c’est sur la question syrienne que le rapprochement est apparu essentiel. Les deux présidents se sont rencontrés dès le mois d’août et ont depuis donné l’impression de raffermir leurs liens pour damer le pion aux occidentaux qui s’opposent fréquemment à Vladimir Poutine à propos de sa politique au Moyen-Orient. La Russie et la Turquie travaillent d’ailleurs main dans la main pour évacuer les Aleppins des quartiers-est de la ville ces jours-ci.
Le processus de normalisation toujours aussi solide
L’un des ouvriers-clé de cette réussite, Andreï Karlov, tué, ce processus est-il en péril? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que l’assassinat a surgi après plusieurs jours de mobilisation en Turquie contre la politique russe à Alep, comme le signale The Telegraph. Pourtant, à l’évidence, la réponse est non. Interrogé par L’Orient-Le Jour, Igor Delanoë, directeur-adjoint de l’Observatoire franco-russe de Moscou, estime que, depuis le rabibochage, "les relations russo-turques sont beaucoup plus étanches, résistantes, et devraient pouvoir surmonter cette épreuve."
Le ministre des Affaires étrangères turc est d’ailleurs ce mardi à Moscou pour discuter de la Syrie avec ses interlocuteurs russe et iranien. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déclaré à cette occasion:
"J'espère que nos pourparlers, ainsi que la prochaine rencontre tripartite avec notre homologue iranien permettront d'aboutir à des accords qui vont faire avancer le processus du règlement syrien (...), mais sans faire de concessions quelconques aux terroristes".
Un groupe de dix-huit enquêteurs russes ont, quant à eux, fait le chemin inverse ce même jour pour faire la lumière sur la mort d’Andreï Karlov, conformément à un accord trouvé la veille par Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan. Après avoir œuvré au rapprochement des deux pays, Andreï Karlov pourrait donc, post-mortem, contribuer à un nouveau renforcement de ces relations.
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